Un deuxième cerveau mécaniquement fortement sollicité

L’intestin est l’unique organe de notre corps à posséder une innervation intrinsèque autonome, le système nerveux entérique.  Appelé le « second cerveau », ce réseau de 100 millions de neurones se développe à partir d’une population de cellules souches, les cellules de la crête neurale, qui migrent durant l’embryogénèse dans la paroi de l’intestin, de la bouche au colon. Mais que se passe-t-il après leur migration ? Dans un doublet de publications paru dans les journaux Communications Biology et Frontiers in Cell and Developmental Biology, l’équipe du biophysicien Nicolas Chevalier (MSC, Université de Paris / CNRS), en collaboration avec la biologiste Sylvie Dufour (IMRB, INSERM / CNRS) et les microscopistes des plateformes ImagiC et ImagoSeine, divulguent plusieurs faits inédits sur la génèse fétale de notre tour de contrôle digestive. Tout d’abord les neurones des mammifères se réorientent selon la circonférence de l’intestin – les scientifiques ont pu capturer une vidéo du phénomène en culture. « Cela ressemble beaucoup à une transition de phase dite « isotrope-nématique » dans les cristaux liquides, où toutes les molécules du cristal vont passer d’un état liquide à un état cristallin orienté selon le champ électrique » commente Nicolas Chevalier, « ici les cristaux sont les cellules de la crête neurale, et le champ électrique sont les fines fibres de collagène sécrétées par le tissu musculaire lisse adjacent, et qui vont orienter les cellules ».

A ce stade le système nerveux entérique forme une constellation de cellules condensées – les ganglions – reliées entre eux par des faisceaux d’axones – on parle de fibres inter-ganglionnaires. Une fois que ces structures sont formées les chercheurs ont démontré que le système nerveux de l’intestin se développe par une simple expansion – les ganglions s’écartent, les fibres les reliant s’allongent. « Ainsi chez l’humain, les quelques 100 000 ganglions sont regroupés dans un tube de 1 cm de long à 8 semaines développement. Comme ce tube mesure à l’âge adulte près de 10m de long, on trouve que les ganglions s’écartent d’un facteur 1000 – tout doit donc être très dense au stade embryonnaire pour se retrouver dans une position correcte à l’âge adulte » commente le chercheur.  Les scientifiques ont en particulier pu montrer que les ondes contractiles spontanées du muscle qui gaine l’intestin tirent en continu sur les fibres nerveuses inter-ganglionnaires, et que c’est justement cette tension qui les fait croître : la mécanique du futur à l’œuvre dans la formation d’un organe vieux comme le monde.

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