Découverte d’un nouveau mécanisme physiologique d’écoulement dans les tubes péristaltiques

Dans le corps humain, de nombreux organes sont reliés entre eux par des tubes de muscle lisse : l’urètre relie par exemple la vessie aux reins, les trompes de Fallope l’utérus à la cavité abdominale, et l’intestin grêle l’estomac au colon. Les compartiments qu’ils joignent sont à des pressions différentes et l’on sait que pour un tube inerte de petit diamètre, l’écoulement se produira toujours des hautes vers les basses pressions avec un débit inversement proportionnel à la puissance 4 du rayon de la conduite – c’est la loi de Poiseuille. Mais les tubes de muscle lisse ne sont pas inertes, bien au contraire : ils génèrent des ondes de contraction – dites péristaltiques – qui transportent le fluide biologique, urine, sperme ou bol alimentaire. Les fibres musculaires qui les constituent se contractent par ailleurs d’autant plus que la pression est grande. Comment dès lors décrire la relation débit-pression au travers d’un tel tube actif ? C’est la question à laquelle répond aujourd’hui une équipe de physiciens du laboratoire MSC.  Elle revêt une importance médicale considérable : on sait1,2 par exemple que l’endométriose est causée par un reflux chronique des menstruations dans la cavité abdominale, via les trompes de Fallope.

Les chercheurs ont adopté l’intestin du fétus de poulet comme modèle de tube péristaltique : celui-ci étant petit, il est facilement oxygéné et présente un péristaltisme stable sur plusieurs jours après dissection de son hôte. En choisissant le stade de développement du fétus, les chercheurs ont pu obtenir soit un tube dont les ondes se propagent autant vers la droite que vers la gauche (multidirectionnel, pas de direction privilégiée), soit un tube dont les ondes se propagent de manière unidirectionnelle. Ils ont canulé ces explants à l’aide de nœuds micrométriques d’élastane entre deux colonnes d’eau, représentant les deux compartiments physiologiques.

Pour des pressions initiales égales, les chercheurs ont tout d’abord confirmé que le tube unidirectionnel se comportait comme une pompe, un générateur de débit prenant du liquide du point A pour l’amener au point B (Fig.1, haut). De manière surprenante, le tube multidirectionnel générait également spontanément un gradient de pression, stable dans le temps, mais dont la polarité était aléatoire : la pression pouvait, au gré des expériences, augmenter tantôt en A, tantôt en B, alors même que les ondes péristaltiques demeuraient, elles, en moyenne, sans direction privilégiée (cf Vidéo ci-dessous).

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs se sont penchés sur la mécano-sensibilité du muscle. Ils ont tout d’abord prouvé que l’amplitude des contractions augmentait avec la pression moyenne dans la lumière, et que cette relation avait également lieu localement : l’extrémité de l’intestin soumise à une plus forte pression présentait des contractions plus vives. Un mécanisme simple se dessinait dès lors : si, au gré d’une fluctuation, la pression augmentait d’un côté, elle engendrait localement une contraction plus importante du muscle, qui amplifiait la fluctuation de pression initiale. Or une pression plus grande se traduit par un niveau d’eau dans la colonne plus grand :   la mécanosensibilité induit donc un déplacement net de liquide de la colonne basse pression vers la colonne de haute pression (Fig.1A) – tout à l’inverse de la loi de Poiseuille.

Pour confirmer cette explication, les chercheurs ont démontré qu’il suffisait d’augmenter légèrement la pression d’un côté pour déterminer la polarité de l’instabilité qui se développera. La pression maximale atteinte est, elle, déterminée par la force maximale du muscle lisse, qui détermine « l’étanchéité » des contractions péristaltiques.

Les écoulements dans les tubes péristaltiques apparaissent donc dictés par la direction des ondes péristaltiques et par un nouveau mécanisme mécanosensible, qui charie le fluide du compartiment de basse pression vers celui de haute pression. En fonction des sens respectifs des ondes péristaltiques et du gradient de pression initial, ces deux mécanismes peuvent soit s’alimenter l’un l’autre, soit être en compétition. Ces recherches, qui demanderaient à être étendues par des mesures in-vivo, ont des implications importantes pour la physiopathologie de l’endométriose, mais également des obstructions intestinales et du reflux vesico-urétéral.

Références :

Amedzrovi Agbesi, R.J., Chassatte, L. and Chevalier, N.R. (2024), Smooth Muscle Mechanosensitivity Generates and Maintains Pressure Gradients Across the Intestine. Neurogastroenterology & Motility e14972. https://doi.org/10.1111/nmo.14972

  1. Mumusoglu, S. & Hsueh, A. J. W. Is endometriosis due to evolutionary maladaptation? Reprod. Biomed. Online 48, 1–10 (2024).
  2. Vercellini, P. et al. Potential anatomical determinants of retrograde menstruation: a comprehensive narrative review. Reprod. Biomed. Online 49, 1–10 (2024).